Entretien avec Vincent Gaillard, Directeur Général de l'EPCR

08/04/2016 00:25

Entretien avec Vincent Gaillard, Directeur Général de l'EPCR

 

Maÿlice Lavorel : Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu'est précisément l'EPCR ainsi que son rôle au sein du rugby ?

 

Vincent Gaillard : EPCR signifie European Professional Club Rugby. C'est l'organisation qui gère toutes les Coupes d'Europe des clubs professionnels de rugby, un peu comme l'UEFA en football avec la Champions League et l'Europa League. La seule différence avec l'UEFA est que l'EPCR ne s'occupe pas du rugby amateur, il est seulement centrée sur le rugby professionnel.

 

M.L : Votre poste au sein de l'EPCR est celui de Directeur Général. Pouvez-vous également nous préciser en quoi cela consiste ?

 

V.G : Le Directeur Général doit concilier tous les aspects des compétitions. Sur le plan politique d'abord, il y a un travail en amont à réaliser avec les actionnaires et tous ceux qui sont partie prenante de la compétition pour définir les objectifs. Il s'agit également de tout mettre en place d'un point de vue opérationnel et pour cela, il faut s'entendre avec les fédérations, les ligues, les clubs et même parfois les stades. Il faut ensuite gérer l'aspect disciplinaire, c'est-à-dire les arbitres, les sanctions distribuées lors de commissions de discipline ainsi que les campagnes contre le dopage et les matches truqués. Enfin, il s'agit de superviser l'aspect marketing et commercial : les ententes avec les partenaires, les contrats avec les diffuseurs (France Télévisions et BeinSports en France, Sky Sports en Angleterre par exemple, ndlr) qui représentent une grosse partie du revenu de l'EPCR, ainsi que tout ce qui tourne autour de la communication et des médias sociaux, par exemple la promotion des compétitions sur Facebook, Twitter, Instagram ou encore le site internet de l'EPCR. Au final, le poste de Directeur Général consiste à mettre tout ça en musique.

 

M.L : Quel a été votre parcours pour en arriver à travailler au sein de l'EPCR ?

 

V.G : J'ai fait des études généralistes à l'Ecole de Commerce Européenne (ECE) de Bordeaux. J'ai effectué mon stage de fin d'année chez Adidas et c'est là que j'ai pris goût à tout ce qui se rapproche du management du sport. En fait, c'est ce stage qui m'a mis la puce à l'oreille. Pour creuser dans cette direction, je suis allé faire un master spécialisé dans le management et la communication du sport à Audencia, l'ancienne Sup de Co de Nantes. Pendant un an, ce master m'a permis d'appréhender les différents métiers liés au sport. J'ai à nouveau effectué un stage, cette fois dans une agence de sponsoring, dans laquelle j'ai par la suite été recruté. J'y ai travaillé pendant deux ans. J'ai ensuite travaillé pour la NBA, qui avait installé des bureaux à Genève. Puis j'ai été recruté par Coca-Cola, pour qui j'ai travaillé treize ans, en partenariat avec l'organisation des Jeux Olympiques mais également avec la FIFA pour les Coupes du Monde de football. J'ai quitté Coca-Cola en 2011 et je suis devenu Directeur Général de SportAccord, qui est une association générale de toutes les fédérations sportives internationales. Je suis enfin arrivé à l'EPCR, où j'officie depuis bientôt un an.

 

M.L : Quelle poursuite d'études conseilleriez-vous aux jeunes qui souhaitent travailler, comme vous, dans les grandes instances du sport ?

 

V.G : Plein de voies sont possibles et envisageables. En fait, le sport est un réel secteur, ce qui signifie qu'il existe beaucoup de façons d'y arriver. Personnellement, la combinaison d'études généralistes et d'un master spécialisé a été bénéfique, mais il existe des tas d'autres moyens d'y arriver. À mes yeux, le plus important est de bien connaître le milieu, d'envoyer ses CV aux bons endroits et surtout, de se constituer un réseau pour avoir un maximum d'opportunités. Au final, au sein des instances du sport, les grands postes sont occupés par des personnes venant des milieux de la finance, du droit, ou bien du marketing et de la communication, comme dans mon cas.

 

M.L : Comme vous l'avez dit précédemment, l'EPCR s'occupe de la direction et de l'organisation des deux Coupes d'Europe de rugby à XV : l'European Rugby Champions Cup, plus couramment appelée Champions Cup, et l'European Rugby Challenge Cup, qu'on appelle aussi Challenge Cup. Ces dernières années, la renommée de la première n'en finit plus d'exploser. En revanche, les observateurs sont nombreux à trouver que la Challenge Cup n'a pas la notoriété qu'elle mérite. L'EPCR a-t-il pour objectif d'offrir une meilleure couverture médiatique à cette compétition ?

 

V.G : Oui, complètement. C'est une problématique qui concerne beaucoup de sports qui organisent une « grande » et une « petite » Coupe d'Europe. Le problème est le même pour l'UEFA, par exemple, entre la Ligue des Champions et la Ligue Europa. À l'EPCR, plusieurs mesures ont été décidées. Tout d'abord, sur le plan sportif, pour motiver les équipes engagées, des bonus financiers sont versés aux clubs à partir du stade des quarts de finale. De plus, un système de passerelle a été instauré : le vainqueur de la Challenge Cup accède automatiquement aux phases de poule de la Champions Cup l'année suivante. Ensuite, il a été décidé que les deux compétitions seraient promues au sein d'une campagne commune. Mais la plus grande nouveauté est que, pour la première fois, les deux finales se joueront le même week-end, dans la même ville, dans le même stade, le Stade des Lumières de Lyon. Des billets groupés ont été mis en vente pour assister aux deux matches à tarif réduit. Déjà, à notre niveau, on a pu observer que cette année, la Challenge Cup suscite plus de passion. En France, par exemple, les clubs et les supporters se sont beaucoup impliqués. Et le résultat est là : Grenoble et Montpellier sont qualifiés pour la phase finale et disputeront les quarts.

 

M.L : Dans cette optique, peut-on dire que le fait qu'en France, la chaîne télévisée gratuite France 4 co-diffuse un match de Challenge Cup par journée puisse aider à créer une meilleure publicité autour de cette compétition ?

 

V.G : Totalement. La diffusion de la Challenge Cup se répand de plus en plus. En Angleterre, tous les matches sont disponibles, malheureusement pas toujours en clair. En France, BeinSports détient les droits de deux ou trois rencontres par journée, dont une en co-diffusion avec France 4, en effet.

 

M.L : Vous avez abordé un peu plus tôt le stade qui accueillera les deux finales : le nouveau Stade des Lumières de Lyon. Pourquoi avoir choisi cette enceinte ?

 

V.G : Tout d'abord, les finales se jouent généralement dans un des six pays partenaires de l'EPCR (France, Angleterre, Irlande, Pays de Galles, Ecosse et Italie, ndlr). Ça faisait longtemps que la France n'avait pas accueilli de finale. On peut donc dire que c'était à son tour. Plusieurs villes se sont manifestées, je sais que la ville de Marseille s'était positionnée sur le dossier par exemple. Au final, on a préféré choisir Lyon, car le stade est splendide, la ville est attractive et connectée. Dans le futur, pourquoi pas sortir des six pays et essayer de jouer des finales en Espagne, en Allemagne, voire pourquoi pas, en rêvant, aux Etats-Unis ? Quoi qu'il en soit, pour cette édition 2015-2016, nous sommes très contents d'avoir choisi Lyon. Le stade sera plein pour la finale de la Champions Cup, il est prévu d'installer un Fan Village gratuit ouvert le vendredi, le samedi et le dimanche matin.

 

M.L : On remarque depuis plusieurs années une forte domination des clubs français, anglais ainsi que des provinces irlandaises sur la scène européenne. Des mesures vont-elles être prises pour ouvrir les compétitions ? Ou cette tri-domination va-t-elle être amenée à s'accentuer ?

 

V.G : La première chose, c'est que cette année, le format des Coupes a évolué : on est passé de 24 à 20 clubs engagés, le niveau s'est donc relevé. Ce qu'on observe, c'est que c'est devenu beaucoup plus compliqué pour les clubs irlandais, il n'en reste aucun au stade des quarts de finale cette année. Parallèlement, le TOP 14 et l'Aviva Premiership deviennent de plus en plus forts. Donc plus qu'une

tri-domination, on se dirige plutôt vers une double-domination exercée par les clubs anglais et français. La deuxième chose, c'est qu'une troisième compétition a été développée pour les clubs des pays émergents. Pour l'instant, elle s'appelle le « Tournoi de qualification », mais elle va être amenée à changer de nom. Elle permet à des clubs de Russie, de Géorgie, de Pologne ou d'Espagne d'accéder aux phases de poule de la Challenge Cup, dans le but d'ouvrir la compétition. Par exemple, cette année, un club de Sibérie a pu jouer les phases de poule (Enisei-STM, ndlr). Après, on ne peut pas nier que la question de la création d'une ligue fermée se pose dans le monde du rugby. Mourad Boudjellal, à Toulon, en parle notamment de plus en plus. Ici, à l'EPCR, ce n'est pas d'actualité. Lors de sa création, l'EPCR a signé pour garder le même format de compétition sur huit saisons. Deux sont passées, il en reste donc six durant lesquelles le format n'évoluera pas. Si la question doit se poser, ça sera dans six ans.

 

M.L : Il y a quelques semaines, des médecins anglais ont publié une étude sur les possibles dangers des plaquages sur la santé des joueurs, particulièrement lorsqu'ils sont effectués dès le plus jeune âge. Cette annonce a provoqué une vague de contestation chez les professionnels, qui considèrent que sans plaquage, il n'y a plus de rugby. Sur ce dossier, l'EPCR souhaite-t-elle se positionner pour la santé de ses joueurs ou pour ce qui fait l'essence du rugby ?

 

V.G : Je pense que les deux choses sont compatibles. Déjà, il est clair que c'est hors de question d'interdire les plaquages dans nos compétitions. Le jeu doit rester le même. Ce qu'on peut, en revanche, améliorer, c'est la prévention autour des risques sur la santé, comme les commotions cérébrales. De meilleurs protocoles médicaux vont être mis en place, avec des médecins indépendants, qui ne font pas partie de l'équipe, pour donner un verdict médical le plus neutre possible. On a aussi récemment vu que la marque coréenne de téléphonie mobile Samsung a sorti un protocole de bandeau qui se met autour de la tête et qui permet d'avoir instantanément des informations sur l'état de santé du joueur, la force des impacts...Donc on commence à réfléchir à un système pour instaurer une meilleure protection autour des joueurs.

 

M.L : Pour terminer, on l'a vu récemment avec le tennis, de plus en plus de sports sont touchés par des scandales de dopage ou de matches truqués. L'EPCR craint-elle que le rugby soit touché à son tour ?

 

V.G : C'est vrai que, jusqu'à aujourd'hui, le rugby a eu beaucoup de chance, il est resté à l'abri de problèmes et de scandales. Pour autant, ça ne veut pas dire qu'il faut rester sur nos lauriers. On se doit d'être absolument vigilants. Ce qui a jusque-là protégé le rugby, ce qu'il s'agit d'un sport qui est devenu professionnel il y a seulement une vingtaine d'années. Le rugby mondial a donc du faire face à peu de contrôles de dopage positifs. Parallèlement, ces dernières années, la vitesse, le poids moyen des joueurs mais aussi la fréquence des matches ont évolué, ce qui conduit à des risques de dopage grandissants. Un énorme travail est réalisé avec le World Rugby pour actualiser le protocole anti-dopage ou tester de nouvelles substances. De plus, désormais, une partie de l'espace publicité est dédiée à la prévention contre le dopage. La menace des matches truqués est aussi à prendre en compte, car l'argent commence à rentrer dans le milieu. C'est pourquoi le rugby mondial doit être extrêmement attentif.

 

 

                                                                                                                                                                                                        Maÿlice Lavorel